Date de publication
4 mars 2024
modifié le

Sabatina Leccia : des photographies brodées pour sublimer le rêve et la nuit

À partir du 19 mars 2024 l'Université Rennes 2 accueillera « Traverser la nuit », une exposition de photographies perforées et brodées par l’artiste Sabatina Leccia. Spécialement conçue pour le service culturel, cette série donne à voir des paysages troublants et oniriques. Dans le cadre du festival Sirennes, festival des cultures de l'imaginaire.

Photo portrait de Sabatina Leccia
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© Paul Robion

Pouvez-vous vous présenter ?

Sabatina Leccia. Je m’appelle Sabatina Leccia, je suis artiste plasticienne et je vis à Montreuil.

Traverser la nuit a été spécialement conçue pour le service culturel. Comment s’est passée la réalisation de ces 23 tirages originaux ? Quel est le fil conducteur de cette série ?

S. L. La réalisation de ces 23 tirages s’est faite en deux temps : une première phase qui correspond à la fabrication des images, moment où je transforme mes photographies, en changeant les couleurs et/ou en les associant à d’autres images.

Pour cette série, certaines images sont un mélange de photographies prises avec mon appareil photo numérique et des images de films à l’arrêt prises avec mon téléphone. Ces différentes strates apportent un grain, une matière qui rendent l’image sensible et fragile. Sur certaines on peut voir la trame de l’écran sur lequel était diffusé le film qui fait écho à mon travail de textile. Une fois ces images imprimées, je commence mon travail de broderie et de perçage afin de poétiser certains détails et rendre visible les énergies et vibrations impalpables des éléments.

Le fil conducteur de cette série est le rêve et la nuit. Les paysages sont hybrides, brumeux et irréels. Les personnages qu’on aperçoit sur certaines photographies sont flous, les contours mal définis, comme si on ne pouvait pas les saisir. Ils sont impalpables tels des apparitions fantomatiques et fugitives. Ensevelies par la brume ou les nuages les images renvoient à des visions quasi chimériques que notre cerveau peut fabriquer la nuit, moment où les repères rationnels du jour tombent et permettent une autre perception des choses.

Vous pratiquez la broderie sur photo, comment avez-vous découvert cette technique ?

S. L. J’ai appris à broder durant mon enfance avec mes grands-mères. La broderie a donc toujours fait partie de mon paysage et c’est avec ce medium que j’ai créé mes premières pièces sur d’immenses tissus en 2008. Je trouvais donc important de lui donner une présence aussi dans mon travail photographique. Elle est un peu comme mon identité, ma trace. Quand j’ai commencé à travailler la broderie j’ai trouvé intéressant de la confronter à différents supports (sac plastique, papier japonais, calque, super orgenza (tissu le plus fin du monde fabriqué au Japon)) c’est donc tout naturellement que j’ai poursuivi mon travail de broderie sur photo. D’autant plus que selon moi, elle vient apporter une matière sensible et tangible à l’image, elle apporte une surface, un relief et elle se fond dans le paysage pour le transformer.

Une photo de paysage rouge
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Traverser la nuit © Sabatina Leccia

Vos expériences en Haute Couture ont-elles nourri votre pratique ?

S. L. J’ai travaillé dans la Haute Couture à la suite de mon diplôme de Textile en 2012 car j’avais besoin de gagner ma vie rapidement, ce n’était pas une fin en soi pour moi. Mon expérience en Haute Couture a été tout de même intéressante dans le travail et l’expérimentation de la matière, mais l’univers de la mode et son rythme effréné ne me correspondait pas. C’est pourquoi dès que j’ai pu, je me suis orientée vers des projets plus humains et engagés comme ceux que j’ai pu faire avec la Fabrique Nomade ou l’Académie Française qui sont venus approfondir et enrichir mon travail de broderie.

Avez-vous toujours utilisé la photo comme support de création ?

S. L. Non, la photographie est venue tardivement dans mon travail artistique, je l’ai inclue à partir de 2022, à la suite de l’obtention de la bourse Transverse. Cette bourse m’a permis de collaborer avec la photographe Clara Chichin et m’a donné envie de m’emparer moi aussi de mon appareil photo car j’ai toujours été sensible au travail de l’image. Adolescente, je constituais des carnets qui mêlaient dessins, broderies et images collectées dans des magazines, je composais ainsi déjà des paysages imaginaires.

Le ciel, la mer, les montagnes, la végétation... Les éléments naturels se confondent dans des ambiances brumeuses et poétiques. Quel rapport entretenez-vous aux lieux photographiés ? Comment les avez-vous sélectionnés ?

S. L. La plupart de mes photos de paysages ont été prises dans le Cap Corse, ma région d’origine. Ce lieu est peuplé de souvenirs très fort liés à mon enfance et mon adolescence, moment où le rêve se confond parfois avec la réalité et les émotions sont très vives car on tend vers l’absolu, vers le sublime. On est dans une découverte de la vie, de l’amour, et les images que j’ai fabriqué à partir de ces paysages cap corsins sont imprégnées des sensations incandescentes que j’ai pu ressentir à ces moments de ma vie, d’où l’utilisation de couleurs vibrantes. La puissance poétique des images étaient importantes dans ma sélection. Je me rappelle d’avoir été saisie d’émotions très fortes face à la beauté des paysages. Ils ont souvent été le point de départ de mes rêveries.

Une photo de paysage de Sabatina Leccia
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Traverser la nuit © Sabatina Leccia

Cette exposition s’inscrit dans la programmation du festival Sirennes, qui a cette année pour thématique « Tissages et Métissages ». Qu’est-ce que ces notions vous évoquent ?

S. L. Ces notions sont inhérentes à mon travail. Les images, les territoires imaginaires que je donne à voir sont en quelque sorte des métissages. Je peux passer des heures à assembler entre elles plusieurs images et me laisser surprendre par la beauté des paysages issus de ces rencontres inattendues. J’aime l’énergie qui se dégage du croisement de différents médiums comme ici la photographie et la broderie, ou bien la lumière qui peut passer au travers de certaines de mes images percées et qui dessine ainsi une autre lecture de l’image. Dans mon parcours aussi j’ai toujours aimé les collaborations et réaliser des pièces à 4 mains, car la rencontre avec l’autre m’a toujours emmené vers des territoires nouveaux et porteurs. Pour moi le tissage et le métissage sont des notions intrinsèques à la vie, à l’amour et au travail artistique et c’est de cette rencontre avec l’autre, la matière ou le territoire que l’énergie vitale et créatrice naît.

Avez-vous des projets individuels ou collectifs à venir ?

S. L. Je travaille actuellement avec la photographe Clara Chichin dans le cadre de la Bourse Transverse comme je l’ai dit précédemment. Notre projet, Le Bruissement entre les murs, s’intéresse au site des murs à pêches à Montreuil (Seine-Saint-Denis), îlot de nature au milieu d’un tissu urbain dense. J’interviens à la main sur les images de Clara Chichin pour créer des paysages troublants et chimériques afin de livrer une restitution personnelle, sensorielle et intime de ce jardin. La finalité de cette bourse est un livre et nous travaillons actuellement avec Céline Pévrier des éditions Sun/Sun sur la réalisation de cet ouvrage qui sortira en novembre 2024.

Ce projet a obtenu le soutien de la Drac île de France, l’Adagp, l’association freelens et la capsule 93.


Le festival Sirennes

Affiche festival Sirennes 2024

Le festival Sirennes est un festival consacré aux cultures et littératures de l’imaginaire dont l’université Rennes 2 porte le projet pédagogique.
La nouvelle édition se tiendra du mercredi 10 au samedi 13 avril 2024, sur le campus de Villejean autour de la thématique Tissages et Métissages.

Tables rondes, conférences, journée professionnelle, Prix littéraires scolaires,... retrouvez toute la programmation sur festival-sirennes.com

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